BEN SPIZZ est un artiste aux talents multiples : pochoiriste, romancier, musicien et aussi fondateur-tenancier de la librairie-galerie LE LAVO//MATIK dans le 13ième arrondissement de Paris. A l’esprit incessant (incandescent) de rêves et de projets, BEN SPIZZ est une source élégante et poétique d’échange sur la place indispensable que doit occuper l’art urbain dans nos vies menacées de fadeur auditive et visuelle. Il y a peu, on conversait de pochoirs et d’autres choses avec lui comme on le ferait avec un de nos amis les plus intenses et attachants, à l’entame d’une belle journée dans sa librairie-galerie :
PLIPP : Peux-tu nous faire le topo de la scène pochoiriste actuelle ?
BEN SPIZZ : J’aurais tendance à dire qu’il y a une évolution marquée dans le travail sur le pochoir depuis une vingtaine d’années. On est passé progressivement de pochoirs relativement simples, monochromes, à des pochoirs de plus en plus sophistiqués. Cela va, pour certains artistes, vers la reproduction quasi photographique de scènes, de visages ou d’autres sujets. Dans les rues, on ne retrouve plus tous ces petits pochoirs, souvent à message, comme il y en avait dans les années 80s. On va plus vers la sophistication et la complexité. L’autre chose est que je pense qu’il ne faut plus délimiter le pochoir juste aux pochoiristes … C’est devenu un outil annexe pour un certain nombre d’artistes qui travaillent le pochoir aussi bien que le graffiti en même temps. Je pense que ce mélange est en train de se développer parce que les arts urbains en général sont en train de se développer. Il y a une tendance lourde et mondiale, aidée par internet et les réseaux sociaux, qui donne de plus en plus de visibilité à ces arts urbains, dont le pochoir ! Du coup, ça commence à intéresser des gens qui, artistiquement, n’ont pas encore réalisé beaucoup de choses et qui se disent qu’ils devraient pouvoir essayer et se lancer. C’est une démarche individuelle … Si tu prends MOSKO, par exemple, il ne fait que des animaux et donc on ne peut pas vraiment dire que c’est particulièrement rebelle ou revendicatif … Mais s’il fait ses pochoirs d’animaux devant une école, les gamins, ils seront contents. Tu auras rendu des gamins contents. Quelque part, rien que le fait d’être peintre de rue, c’est déjà une revendication sociale et politique.
PLIPP : Comment te positionnes-tu dans cette scène ?
BEN SPIZZ : Personnellement, comme pochoiriste, je reste attaché au tout à la main … La main et l’œil, sans machine. D’autres disent que l’acte de la découpe n’est pas forcément la chose la plus importante dans le pochoir… Ils pensent que le plus important est dans la conception du pochoir et donc que découper à la machine n’est pas un problème. C’est vrai que tu peux avoir la vue qui baisse ou que tu as un bras qui se met à trembler, et donc que la machine peut être alors considérée ou utilisée par certains comme étant juste un outil mais, moi, je préfère la découpe à la main. C’est un moment où tu es bien concentré, tu es avec toi-même et tu es dans ton truc ! Après, chacun est différent. Je comprends même que certains artistes aient des assistants pour découper à leur place … Si tu as de grosses expos et que tu conçois plein de trucs, par exemple, c’est impossible de suivre avec la découpe ! Donc si tu as quelqu’un qui t’aide à découper, ça ne change rien … Les traits sont les traits ! Ce n’est pas la découpe qui est fondamentalement la plus complexe. Ce qui est complexe, c’est de concevoir les vides et les plans. Tant qu’on est à discuter technique, je dirais aussi qu’un autre moment intéressant est quand tu as découpé et que tu mets ton pochoir entre ton mur et la lumière et que tu vois alors les ombres portées qui sont super nettes ! Il n’y a pas de bavure … Tu vois juste apparaître ce que tu as découpé … C’est le truc parfait !
PLIPP : Peux-tu nous rappeler comment tu es arrivé au pochoir ?
BEN SPIZZ : J’ai découvert le pochoir au milieu des années 80s, sur les murs de Paris. J’ai d’abord commencé à les photographier … Je partais dans Paris le dimanche matin, quand il n’y a pas de voitures, pour en trouver. Je me suis fait plein de photos à cette époque-là. Ne sachant pas dessiner, je ne me suis jamais posé la question de me dire que je pourrais en faire moi-même. J’étais juste dans l’enthousiasme de découvrir tous ces trucs sur les murs. Puis il y a eu la répression … Ca a été un gros creux dans la peinture sur les murs … La plupart des artistes se sont faits choper, avec des amendes et tout ça. Du coup, on ne voyait plus grand chose sur les murs. C’est le festival « Stencil Project » en 2004 qui a ensuite ramené tout un tas d’artistes qui avaient effectivement un peu arrêté, y compris Jef Aérosol et Blek le Rat, en les réunissant tous. J’étais allé sur plusieurs jours dans Paris, à plusieurs endroits, pour les voir et j’ai trouvé ça assez fabuleux ! C’est la première fois que je voyais tous ces artistes … En rentrant chez moi, je me suis alors dit que je devrais essayer d’un faire un … Et c’est comme ça que j’ai fait mon premier truc monolayer sur un papier. Je me suis ensuite pris au jeu et ça a commencé comme ça, sur la partie purement artistique de faire des pochoirs. J’ai fait un peu de rue et j’aimais aussi peindre sur toile. Dès le début, j’ai eu la démarche de travailler à la fois en extérieur et en intérieur.
PLIPP : Que vois-tu comme évolution au pochoir et à l’art urbain ?
BEN SPIZZ : Je pense qu’on est seulement au début d’un nouvel intérêt de la part du public. En discutant avec les gens, on se rend compte que la plupart d’entre eux sont encore complètement novices. Comme les médias en parlent de plus en plus, comme les municipalités se mettent à l’utiliser de plus en plus pour embellir la ville, et que derrière ça il y a une diffusion massive et mondiale via les réseaux sociaux, je pense que cet intérêt va augmenter rapidement. L’avantage, c’est que ce n’est pas de l’art institutionnalisé qui descend des élites … Ce ne sont pas les élites qui décident de ce que le peuple peut aller voir dans les musées. Le musée, ici, se fait dans la rue ! N’importe quel quidam qui a envie de faire un truc, il peut essayer. Il n’y a pas de norme … Ca vient d’en bas. Il y a un certain nombre de codes, mais il n’y a pas de norme … Tu peux faire ce que tu veux. Même des artistes aujourd’hui établis dans le Street Art ont commencé en faisant des trucs dans la rue, en étant dans des crews ou tout seul. Et puis, à un moment donné, ils ont commencé à acquérir une notoriété, à être plus médiatisés, à aller dans telle ou telle galerie. Mais ça venait toujours du bas. Et ce qui est vraiment intéressant, donc, c’est qu’il n’y a pas de limite ou de barrière … Tu peux travailler sur du collage ou directement sur de la peinture sur mur … Tu as des artistes qui ont envie de faire passer des messages et puis d’autres artistes qui ont juste envie de faire des trucs parce que ça leur plaît ou qu’ils ont juste trouvé leur créneau. Ca dépend de la démarche. Ce qu’on a via le pochoir, c’est le moyen de faire ce qu’on a envie de faire, d’exprimer soit du message soit de l’esthétique, soit encore un mélange des deux. Quoique ce soit, c’est toujours de manière complètement indépendante, en dehors de tout système … Pas besoin d’avoir fait les Beaux-Arts. Pas besoin d’être super doué. Le pochoir est un medium qui permet, sans avoir besoin d’un talent technique de dessinateur, d’exprimer des choses. Au fond de tout être humain, il y a un artiste, ou un pochoiriste en tout cas … Le pochoir est un outil de liberté !
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Facebook librairie-galerie : le-lavomatik-arts-urbains
Note : Le roman « Lucie Pressing » et le disque « Eat the Rich » sont publiés par Close Up. LE LAVO/MATIK est sur le Boulevard du Général Jean-Simon à Paris et vous ne pourrez certainement pas le rater en passant devant.
Note : D’autres extraits de l’interview de BEN SPIZZ seront repris dans un nouveau livre du BRIGADIER PLIPP à paraître fin 2018.
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