DIPO est un pochoiriste basé à Arles. Son pseudonyme lui vient de son frère, en référence à MOEBIUS et donc à son espèce de pélican nommé DEEPO … Dans la jeune trentaine, le pochoiriste DIPO suit son chemin entre activité artistique et boulot un peu moins artistique. Fortement inspiré par la bande dessinée, et initialement plus forçat de la découpe que de la peinture, DIPO est sorti assez tard de son atelier. Depuis qu’il a pointé ses sprays dehors, il a rapidement évolué vers la composition de pièces plus élaborées. On parle de tout ça avec lui, assis plutôt tranquillou sur un banc ombragé du Quartier de Trinquetaille :
PLIPP : Peux-tu nous faire le topo de la scène pochoiriste actuelle ?
DIPO : Je ne suis pas sûr d’avoir une vision d’ensemble du pochoir national … Je vois qu’il y a beaucoup d’artistes qui évoluent chacun dans leur région mais qui ne sont pas aussi connus que des MISS.TIC, BLEK LE RAT ou encore C215. Je pense à des pochoiristes comme THE DUDE COMPANY à Lille, MONSIEUR-S et GOIN à Lyon et POLO 51.67 à Avignon. Voilà des artistes que je suis attentivement et que je peux citer spontanément. Parmi la scène underground, il y a aussi des jeunes, voire des très jeunes, qui arrivent … Ils sont très forts et tout aussi doués mais on ne les connaît pas encore sur le plan national ou international. Ceux qui ont une renommée en dehors de la scène graffiti, au-delà du pochoir artistique, sont déjà plus dans le commercial. C’est plus la vente d’une image qui ressemble au pochoir. Les marques profitent de l’image très jeune attribuée au pochoir et au graffiti d’une manière plus générale. Pour ceux-là, on n’est plus dans le même état d’esprit que dans les années 90s où la scène du pochoir était un peu balbutiante et, en tout cas, pas encore une discipline à part entière. On était alors plus dans la création contestataire avec un message politique … Un message engagé ! Je pense à ERNEST PIGNON-ERNEST, notamment, qui faisait ses pochoirs avec une visée clairement politique. Aujourd’hui, mis à part quelques coups d’éclat, on n’a plus vraiment de message politique. C’est curieux d’ailleurs parce que, justement, politiquement, on s’en prend actuellement plein la gueule … C’est vrai que, techniquement, le pochoir est un peu plus long à faire que le graffiti … C’est plus difficile de réagir à chaud aux évènements. Il y a donc peut-être un manque de spontanéité du pochoir par rapport au graffiti qui est plus dans le geste rapide à main levée … C’est un point de vue.
PLIPP : Comment te positionnes-tu dans cette scène ?
DIPO : Je suis plutôt encore dans l’observation de cette scène parce que j’ai vraiment commencé à sortir mes œuvres il y a quatre ans tout au plus. Auparavant, je travaillais beaucoup à découper mais très peu à peindre ! J’ai peut-être trois cents pochoirs qui n’ont jamais été peints … Ce sont surtout des pochoirs monocouches, très simples. A l’époque, j’étais vraiment boulimique de découpe. Ensuite, c’est par des jeux de rencontres que j’ai commencé à affiner ma technique, que je me suis associé avec d’autres artistes et que je suis enfin sorti de ma réserve. Ca fait depuis 2002 que je fais du pochoir mais je commence seulement maintenant à vraiment sortir mon travail.
PLIPP : Peux-tu nous parler de ton évolution dans l’inspiration ?
DIPO : Au départ, parce que je ne considérais pas vraiment le pochoir comme une discipline artistique, je découpais sur des cartons de récupération, comme des boîtes de céréales que je pliais, par exemple. J’imprimais des dessins issus de comics ou de mangas parce que j’ai grandi avec ces références artistiques. Il se trouve que j’habitais juste à côté d’un lettreur qui bossait pour MARVEL et KANA. Il me donnait des bandes dessinées une fois sorties … C’était une source d’inspiration très riches. Et maintenant, ces univers de super-héros sont considérés comme des œuvres d’art ! Un autre univers qui m’a pas mal inspiré est celui de la musique, notamment avec ASIAN DUB FOUNDATION dont le logo était un pochoir. Je ne me suis jamais lancé dans le dessin lui-même parce que je trouvais que je n’étais pas à la hauteur … Je n’ai jamais persévéré dans le dessin … Rien d’exploitable en tant que pochoir, en tout cas. J’étais plus à ma place dans un rôle de recopieur de dessins. Progressivement mes sources d’inspiration ont quitté l’univers de la bande dessinée pour rejoindre celui de la photographie. A Arles, on est quand même fort dans la photographie avec les Rencontres de la Photographie ! Ca m’a amené à rencontrer des photographes qui, eux, m’ont permis d’utiliser certains de leurs clichés. Mon intérêt principal, actuellement, réside dans la technicité et dans le réalisme. Je n’exclus pas de continuer à faire évoluer mon travail différemment mais j’éprouve effectivement beaucoup de satisfaction à réaliser des oeuvres complexes, avec entre dix et vingt pochoirs. Ca ne veut pas dire forcément vingt couleurs mais vingt couches. C’est un défi technique avant tout … Je cherche à rendre compte de la photographie la plus réaliste possible. J’ai maintenant deux sources d’inspiration principales, soit les portraits et les lieux désaffectés. J’aime bien ces paysages d’exploration urbaine qui font penser qu’il y a eu de la vie quelque part et que cette vie à disparu … Je suis très sensible à ça.
PLIPP : Tu vois ton avenir comment ?
DIPO : A Arles, il n’y a pas beaucoup de pochoiristes actifs. C’est surtout une scène graffiti qui est présente, assez talentueuse mais aussi assez méconnue. J’arrive à avoir quelques contrats mais, aujourd’hui, j’ai surtout une autre activité professionnelle qui est d’ailleurs radicalement opposée à mon travail en rue … Encore qu’une des premières missions qu’on m’a confiée était de réaliser une décoration de pré-fabriqué aux couleurs de cette entreprise ! Ceci dit, j’aime bien travailler en association avec d’autres artistes. Soit je cherche des opportunités soit je crée mon propre événement avec d’autres artistes, pour des fresques, par exemple. J’interviens alors surtout sur le fond et sur la co-signature. Pour les signatures, le contour est tellement plus net au pochoir qu’au graffiti ! Par contre, j’interviens relativement peu sur les pièces réellement maîtresses. C’est un peu frustrant mais, pour l’instant en tout cas, c’est le seul moyen que j’ai trouvé de rester en cohésion avec l’oeuvre dans sa globalité. C’est une part minime mais une part quand même ! Et puis ça me réjouit toujours de travailler avec des graffeurs parce qu’ils ont beaucoup à m’apprendre. Je dirais qu’aujourd’hui, pour mon travail personnel, je me concentre plus sur le fait de faire deux ou trois œuvres par an … Ce n’est plus du dessin pour faire du dessin ou de la découpe pour faire de la découpe … Je veux que mes pièces soient complètement abouties et vraiment finies.
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Site web : stencilfactory.blogspot.com
Note : La photographie à l’origine du pochoir hyper-réaliste du Sadhû est d’Olivier Remualdo. Les illustrations 1 à 3 sont de DIPO.
Note : D’autres extraits de l’interview de DIPO seront repris dans un nouveau livre du BRIGADIER PLIPP à paraître fin 2018.
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