JINKS KUNST est un pochoiriste helvético-français dont la réputation s’étend bien au-delà des limites de l’art urbain européen … Une bonne partie de son travail artistique se fait en effet aux confins de la planète, en Asie ou en Afrique, soit là où il décide d’apporter sa maîtrise du pochoir comme vecteur d’humanisme. Pour JINKS KUNST, le pochoir doit permettre de mettre en évidence tant les enfants en situation précaire que les adultes dévoués à améliorer la vie de leur communauté, souvent avec des moyens dérisoires. Les interventions du pochoiriste se combinent souvent à des ateliers ou des décorations dans les écoles et les centres culturels des lieux qu’il visite. Avant son départ pour un nouveau périple de plusieurs mois, JINKS KUNST nous recevait dans son minuscule appartement de la Maison Radieuse à NANTES, une habitation utopique conçue par LE CORBUSIER, un transversal franco-suisse comme lui :
PLIPP : Peux-tu nous faire un petit topo de la scène pochoiriste actuelle ?
JINKS : Je trouve que cette scène est bien complète. Il y en a qui nous font des trucs déments. C’est une belle scène. Ca évolue bien. Il y a plein de nouveaux qui arrivent au fur et à mesure. Ceci dit, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de messages. Ca s’est vachement perdu. Moi-même, franchement, depuis que Sarkozy n’est plus là, je n’ai plus vraiment de message à mettre dans la rue ! J’ai moins la niaque. Quand c’était Sarkozy, ça m’énervait tellement de voir ce guignol au pouvoir que j’avais toujours des idées … Ca m’a d’ailleurs valu des petits soucis au Maroc parce que j’y ai peint un Sarkozy et que ça a été considéré comme atteinte à un chef d’Etat en fonction. Bon, il ne faut pas forcément y avoir un message dans chaque pochoir non plus … On peut faire des pochoirs gentils, sans message, mais je trouve ça bien quand il y a quelque chose de plus fort. Moi, il m’arrive parfois de réagir dans l’immédiat … J’entends une info à la télé et je fais mon découpage dans la nuit ! Après, je n’ai pas envie de faire chier. J’ai envie de faire plaisir. Je ne vais pas aller coller ou peindre sur un endroit qui va être gênant … J’ai juste envie de faire plaisir aux passants, pour que dans leur visuel, ils aient autre chose que des publicités à regarder.
PLIPP : Comment es-tu arrivé au pochoir ?
JINKS : J’ai commencé par le graffiti, juste sur papier, dans le tout début des années 90s. J’ai un peu graffé à l’ancien skate park de Pornic. Puis j’ai passé dix ans sans rien faire parce que je suis parti en Suisse et que la Suisse, c’est propre. En revenant en France, je suis arrivé à Nantes et j’ai vu tous ces murs bien colorés. Je m’y suis remis avec beaucoup de mal … J’ai vraiment fait de la grosse daube au début. Quand tu fais de la daube, fais-la sur papier et pas sur un mur ! C’est ce que j’aurais dû me dire et c’est ce que j’essaie de dire à plein de jeunes maintenant. Faut s’entraîner sur papier, à fond ! Après, je me suis mis au pochoir parce que j’avais envie de rajouter quelque chose à côté de mes lettrages, pour marquer mon nom. J’avais envie d’essayer autre chose. D’abord avec des pochoirs simples et puis, de fil en aiguille, c’est devenu une drogue ! Dès qu’on a fini un pochoir, on a envie de se mettre au suivant et ainsi de suite. On a envie de faire de plus en plus de détails … Il n’y a pas longtemps, je suis parti sur un pochoir d’un dollar qui m’a pris au moins deux cent heures de découpage. Je suis souvent sur des trucs vraiment ultra minutieux.
PLIPP : Tu peux nous parler un peu de ta technique ?
JINKS : Pour moi le plaisir est autant dans la découpe que dans la peinture. La découpe, c’est quand même ce que je kiffe en premier ! On voit les différentes couches sans savoir si le visuel va marcher … On se doute que ça risque de bien marcher mais on n’est jamais sûr du résultat. En moyenne, je fais huit ou neuf couches. Mon maximum, c’est quarante-cinq … Je ne le referai plus ! Pendant un temps, j’ai travaillé à l’ordi mais plus maintenant … J’ai besoin de choisir où je veux aller. Je trouve que, du coup, le détail est plus sympa. J’ai été dans une période « poil » par exemple … Grave ! Poils, rides, cheveux … J’ai rencontré de tellement beaux barbus au Maroc … Des vieux barbus bien ridés … Il y avait vraiment du travail au niveau découpage. A force de me dire de pousser encore plus loin, je ne sais pas où je vais arrêter ! Pour moi, c’est un peu à la portée de tous de faire juste un pochoir à deux couleurs. Et je ne veux même pas voir marcher une machine à découpe au laser ! Le gars qui s’achète une machine et commence à faire des quinze couleurs, il n’a aucun mérite, clair et net. Moi, je fais beaucoup de démonstrations pour que les gens comprennent mon travail. En même temps, c’est hyper intéressant d’être en contact avec le public. La machine, elle, elle n’en a rien à foutre d’être en contact avec le public. Mon dollar à deux cent heures, je suis sûr qu’une machine le fait en une nuit ou, si ça se trouve, en une heure … Non, je ne veux pas voir ces machines-là. C’est tuer le travail ! C’est du congelé !
PLIPP : Quel est ton pochoir préféré ?
JINKS : C’est un pochoir en vingt et une couches sur la famine en Afrique. Il y a une femme debout, deux gamins qui sont en train de crever la dalle au sol, un enfant soldat derrière eux et un Mac Do au loin. J’ai mélangé plusieurs photos. C’est la première oeuvre où, quand je l’ai regardée, j’étais vraiment content. Content du résultat, content de l’émotion. Je l’ai fait en 2008 ou 2009. C’était sur une toile unique. J’ai arrêté de peindre sur toile maintenant.
PLIPP : Tu évolues vers quoi ?
Je peins sur des vieux skates. A la base, c’est juste pour réutiliser un support qui est normalement censé finir à la casse. J’ai fait pas mal de skate dans les années 80s donc c’est important pour moi de travailler sur ça. C’est le kif du bois. C’est le kif de sentir la douceur du bois parce qu’il est bien poncé ! J’ai un peu l’impression que tous les cinq ou six ans, je pars sur une nouvelle technique, mais sans lâcher les anciennes … Je pars parfois dans de nouvelles directions, juste pour essayer. Devenir riche, j’en ai rien à foutre … Moi, ce que je veux, c’est de pouvoir continuer à peindre. On n,’est pas là pour ce faire des millions … ON est là pour vivre de notre art … Ou, en tout cas, en survivre. ¨Pour l’instant, c’est plutôt survivre.
—
Facebook : Jinkskunst
Instagram : Jinkskunst
Note : L’illustration 1 est un auto-portrait de l’artiste en huit couches de pochoir. L’illustration 2 est celle d’une grand-mère et sa petite-fille, Chakiba (Généreuse) et Aldjia (Belle Fleur) en sept couches de pochoir. L’illustration 3 est un portrait de LE CORBUSIER réalisé par l’artiste près de la Maison Radieuse. L’illustration 4 présente les couvertures des deux livres récemment publiés par JINKS KUNST à partir de ses voyages … DJIGUENNE & GOOR signifie Femme & Homme. L’illustration 5 représente des stickers de l’artiste qui, en pus des pochoirs, apprécie le détournement de panneaux de signalisation.
Site web : http://www.jinkskunst.com
Note : D’autres extraits de l’interview de JINKS KUNST seront repris dans un nouveau livre du BRIGADIER PLIPP à paraître fin 2018.
Copyright BRIGADIER PLIPP pour MAEDIA Publishing pour le texte et les photos sauf indication contraire.